Démocratisation du Private Equity : comment la loi industrie verte change la donne
Jusqu’à présent, accéder au marché du Private Equity nécessite soit d’investir directement dans une entreprise, soit de passer par des fonds spécialisés proposés par des banques ou des sociétés de gestion de patrimoine. Le seuil d’entrée est souvent élevé. Avoisinant 100 000 euros minimum, il peut atteindre plusieurs millions pour les fonds les plus prestigieux. S’y ajoutent des frais de gestion (de l’ordre de 2%, avec une commission de surperformance d’environ 20%).
Le Private Equity se caractérise par son manque de liquidité (les fonds étant généralement immobilisés pendant au moins cinq ans) et par un risque important de perte en capital. Cependant, ces risques sont compensés par une espérance de rendements élevés. Selon une étude de France Invest et EY, le non coté affichait à fin 2023 un TRI à 10 ans bien supérieur aux autres classes d’actifs. Il atteignait 13,3% pour le capital investissement, contre 10,5% pour les actions du CAC 40 et 4,7% pour l’immobilier. L’écart diminue en cas d’investissement via un contrat d’assurance vie ou un PER format LIV en raison de la poche de liquidité nécessaire. Il reste néanmoins significatif.
Renforcer les due diligences
Pour les assureurs, l’enjeu d’apprentissage est élevé. A fin 2023, les encours en UC non cotés s’élevaient à 4,6 milliards d’euros selon France Invest, une poussière au regard de l’encours global en UC (1 923 Mds € à fin 2023). La Loi Industrie Verte incite notamment les compagnies d’assurance à renforcer leur due diligence dédiée aux fonds de capital investissement. L’objectif consiste à référencer les fonds les plus cohérents par rapport à leur marché cible. Nous retenons quelques critères à inclure dans les due diligences :
- SRI modéré (entre 3 et 5) afin de pouvoir les proposer à des profils prudents et/ou équilibrés ;
- Fonds Evergreen pour faciliter les entrées et les sorties sur ces fonds ;
- Fenêtres de rachats et leur périodicité pour les fonds à maturité fixe ;
- Taille de la poche liquide du fonds sur l’actif net du fonds ;
- Expérience de l’équipe de gestion en capital investissement notamment pour les fonds récents (< 3 ans).
ELTIF 2 : la démocratisation du Private Equity au service de Loi Industrie Verte
La Loi Industrie Verte prend le virage d’ELTIF 2 en permettant à toute une gamme de fonds difficilement accessibles en assurance vie et en PER d’être référencée sans condition. Actifs réels, fonds alternatifs, fonds spécialisés, fonds de fonds et autres sociétés d’épargne forestière se voient ouvrir la porte des unités de compte (UC).
La réglementation ELTIF a été adoptée en 2015 pour promouvoir le financement à long terme de l’économie européenne. Cette initiative n’a pas généré les résultats escomptés en termes de création de fonds. Une réglementation ELTIF 2.0, entrée en vigueur le 10 janvier 2024, entend ainsi élargir l’accès aux investissements à long terme et les rendre plus attractifs.
Les nouveautés d’ELTIF 2
Approuvée en janvier 2022, ELTIF 2 vise à relever les défis inhérents aux actifs non cotés. Les principales modifications par rapport à la première version d’ELTIF portent sur :
- La liquidité des actifs : diminution du minimum d’actifs non cotés dans le fonds (70 à 55%) ;
- La suppression du minimum d’investissement (auparavant 10 000€) ;
- La transparence de l’information via une augmentation des exigences de communication à l’AMF (politiques de remboursement, allocation d’actifs, dettes, valorisation ELTIF) ;
- L’ouverture des stratégies d’investissement avec la possibilité d’inclure des titres cotés à l’actif net du fonds sous certaines conditions, des Green bonds ou encore de la titrisation.
A fin 2023, le marché français des ELTIF pointait à 4,7 milliards d’euros selon l’étude de Scope Fund Analysis. La majorité de ces fonds ELTIF sont des Fonds Professionnels Spécialisés (FPS). Cette catégorie est aujourd’hui peu référencée en assurance vie, où les actifs non cotés sont essentiellement des FCPR, toujours selon France Invest. Toutefois, une fois labellisés ELTIF 2.0, ces fonds peuvent supprimer leur ticket d’entrée et atteindre une clientèle plus retail en assurance vie. Ils sont également attractifs pour les assureurs. En effet, leurs sous-jacents sont très diversifiés (non coté, immobilier, actifs liquides) et disposent en général d’une liquidité légèrement supérieure aux FCPR. C’est particulièrement vrai pour des assureurs qui ont une stratégie de développement internationale, notamment au Luxembourg.
Démocratisation du private equity : quels freins pour les assureurs ?
La mise en place de la Loi Industrie Verte et son calendrier resserré ont conduit certains acteurs à adopter une stratégie pragmatique afin d’être en conformité le plus rapidement possible.
Les principaux FCPR plébiscités par le marché, dans le cadre de la loi Industrie verte, sont les mêmes que ceux qui drainaient l’essentiel de la collecte en UC avant la LIV, principalement des fonds de dette privée et d’infrastructure. Leurs références auprès d’autres assureurs les ont rassurés, tout comme leur nature permettant d’anticiper les paramètres de gestions connus à l’avance : périodicité des coupons, maturité du fonds et volatilité moindre.
Défis opérationnels
De nombreux défis opérationnels (gestion des valeurs liquidatives et estimatives, gates, rachats partiels sur le contrat, nouveaux mandats en gestion profilée pilotée et gestion pilotée à horizon) restent à relever pour les assureurs. Ces défis les incitent à modérer leurs ambitions sur les UC non cotées. Voire à étaler dans le temps la mise en marché de leurs produits estampillés « LIV ».
Pour autant ces défis opérationnels n’ont pas empêché le développement d’un paysage concurrentiel en termes d’offres. Par exemple, les initiatives portées par des acteurs comme Hectarea, Sowefund ou encore Tudigo qui se positionnent comme des concurrents à la distribution d’actifs non cotés. Ils s’appuient sur un « story-telling » fort, facile à mettre en œuvre autour du non coté : l’investissement dans l’agriculture de demain (Hectarea), l’investissement dans l’innovation (Sowefund) ou l’investissement simple et engagé (Tudigo).
Conclusion
La prise de recul sera nécessaire à la suite d’un calendrier réglementaire chargé en 2024. La mise à niveau du marché assurance-vie suppose l’appropriation par les assureurs des caractéristiques de ces UC non cotées. La diversification des offres arrivera dans un deuxième temps. Elle reposera en partie sur la capacité des sociétés de gestion à répondre aux défis opérationnels des assureurs en proposant de nouvelles typologies de véhicules non cotés alors que les plateformes dédiées aux actifs alternatifs se multiplient et semblent avoir trouvé des réponses opérationnelles à la distribution de Private Equity. L’arrivée de plateforme « one stop-shop » permettant de rapprocher les sociétés de gestion des distributeurs, à l’image de celles existantes sur les OPC, permettra peut-être de simplifier la distribution de ces produits en assurance-vie et en Epargne / Retraite.